Les forêts c'est toi, mon père
Celles qui fleurissent malgré les tempêtes.
Ce que j’aime dans ton travail, plus que tout, c’est d’être le témoin d’une série d’œuvres qui se composent, se répondent, et dont le parcours nous raconte des histoires secrètes. L’atelier, c’est mon havre, depuis l’enfance. Quand j’arrive ici, quelque chose en moi s’adoucit, se pose, se réjouit. La vie avec sa violence incontrôlable, les oiseaux de proie, les chasseurs, les loups, le destin qui s’abat, tout disparaît à l’entrée.
Aux premiers dessins, j’ai cru assister à des réminiscences de jetées, de bord de mer, des paysages lunaires qui nous laissent un arrière-goût de vent et de destruction. Puis les jetées se transforment, les pierres se changent en branches, et ce sont les forêts brisées qui sont apparues. Si puissantes de sauvagerie. Je les regarde, et je respire un peu plus grand. Je sens que la lumière est quelque part en gestation. Elle arrive. Elle nous parle au creux de l’oreille. Et alors que les forêts se déploient, arrive ce jour, après deux mois d’absence, où j’entre dans l’atelier, et je le vois.
L’arbre. Seul, au milieu de la plaine. Vital.
Ce moment, je voudrais le garder en moi pour longtemps.
Comme remède à la mélancolie.
J’ai ressenti un mélange de quiétude, d’émerveillement, de tristesse aussi, mais d’une tristesse qui se laisse approcher. Qui tremble. Une tristesse qui puise dans une source infinie de joie. Et d’un coup, je pense : depuis toutes ces années je te vois peindre des grands formats à l’huile, qui partent de fonds sombres pour faire venir la lumière. Et voilà que tu recommences. Et déjà je sens que tout va refleurir. Malgré tout. Parce qu’il faut bien que les saisons passent et que la vie l’emporte. Plus forte, toujours, que les plaines et le carnage. Puis l’arbre se casse, se transforme en forêt magique, profonde, épaisse, vibrante, et hostile aussi.
La violence reprend ses quartiers. Et alors que tout se brise à l’intérieur et à l’extérieur, arrivent les bourgeons. Les branches sont coupées. séparées du tronc, et pourtant, elles jaillissent, les fleurs.
Les forêts brisées, pour moi, c’est de la musique. C’est un pari fou vers ce qui vacille, ce qui vit, explose et éblouit, malgré l’impossibilité de vivre. Et les forêts se transforment en animaux mythiques, en esprits, en pulsation, et un vent de liberté me traverse le cœur. Le plus beau cadeau que j’ai reçu dans ma vie, avec la musique, c’est d’assister à la naissance de tes œuvres dans ton atelier.
Silencieuse, allongée sur le canapé, nous avons nos rituels toi, Gabriel et moi.
Tu peins, tu dessines, avec cette obstination qui est la tienne, et tu chantes, et moi je regarde ce qui nait en face de moi, et je ris de ta légèreté apparente quand je te vois te battre avec les fauves. Ceux qui sont tapis à l’intérieur de ta poitrine et qui guettent la toile, le papier, tous les supports que tu offres pour autoriser leur naissance au monde.
Je sens que la ligne rouge que tu déploies depuis des années m’est entrée dans le corps, les images se transforment en ondes.
Apparaissent alors le chant et les mots.
L’envie d’un territoire toujours un peu plus vaste.
Clara Ysé
Paris – 2022